Résidence d’artiste à Villar en Val
Depuis le 1er mars et jusqu’à fin avril 2022 l’artiste peintre Thomas Loyatho est à Villar en Val dans le cadre d’une résidence de création réalisée par l’association Vill’art en Val et La Fabrique des Arts de Carcassonne Agglo. C’est après un temps d’installation dans son atelier aménagé dans l’ancienne école que nous vous proposons de pousser la porte pour une visite d’atelier…

VISITE D’ATELIER
Vill’art en Val : Peux-tu nous décrire quelle était ta matière première pour travailler quand tu es arrivé et aussi nous donner tes premières impressions sur la résidence, ta perception du village, de ton nouvel environnement.
T.L. : Je suis arrivé avec un faible rouleau de toile, c’est pour ça qu’il me tarde d’en avoir de la nouvelle ! J’avais un rouleau de toile vierge et des châssis nus. J’ai été très bien accueilli à Villar le premier soir, avec un repas. Le lendemain j’ai exploré le sentier Joseph Delteil avec Philippe Forcioli. Dès l’après-midi, il fallait absolument que j’aménage l’atelier. Et le soir je me suis dit qu’il ne fallait pas que j’aille me coucher avant sans avoir peint au moins une première couche. Dans les jours qui ont suivi je n’ai fait que peindre. D’ailleurs le temps était assez gris.
Je pense qu’il y a un temps d’adaptation assez long. Même si je vis à la campagne et que j’aime bien m’isoler. C’est peut-être seulement maintenant (23 mars) que je suis vraiment à Villar en Val. Même si l’on vient et que l’on s’isole, mine de rien, je reste avec les problématiques de chez moi, avec les discussions que j’ai commencées ou pas finies chez moi. Tu es là, tu peins c’est très méditatif… sauf que là il fallait que je commence par peindre, je ne suis pas venu faire autre chose, je suis venu peindre.
Une citation de Delteil m’a plu pour démarrer cette résidence « Non, non, non, le rôle de l’artiste n’est pas de vivre avec son temps, mais à printemps et à contre temps. »


Vill’art en Val : Tu prépares tes toiles ?
T.L. : Je n’aime pas le fond blanc, c’est stressant, j’aime bien faire toujours un gris de base, ici un gris un peu fauve, un peu chaud, un gris roux, et c’est sur ce fond chaud que je vais commencer à superposer des couches, dégager un motif, cerner quelque chose, un peu à la manière d’un collage. Au fur et à mesure que se dessine quelque chose je le mets en valeur, et ce que j’aime c’est qu’à un moment donné il y a un comme un chaos qui se produit, c’est de ce chaos que je vois ce qui en sort, c’est très empirique. Ça peut-être un paysage ou une perspective ou alors suivant le format ça peut-être un personnage, quelque chose qui est plus.
Vill’art en Val : Quelle est ta base de tes couleurs ?
T.L. : C’est le noir de perylène qui, étiré, dilué, devient vert ; l’oxyde de chrome qui est un autre vert, de la terre verte et des terres : Terre de Sienne, Terre d’ombre brulée, et des roses un peu dégueulasses, du jaune Naples (très peu), et des bleus : du bleu indigo et bleu de Prusse. En ce moment c’est ma palette.
Vill’art en Val : Tu commences avec un fond et ensuite ?
T.L. : L’élément principal, figuré ou plus abstrait est souvent une réserve, ce qui me fait avancer c’est la visibilité des successions et les traces des passages, des cicatrices, des traces, des sillons qui se sont succédé sur le support, une sorte de palimpseste.
Vill’art en Val : En ce moment, sur les murs il y a deux personnages qui émergent, comment sont-ils arrivés là ? J’imagine que le visage de Delteil n’est pas arrivé là tout seul !
T.L. : Non ! j’ai commencé par ça. Une présence. J’ai entendu les enregistrements du « Saint François d’Assise » et du « Jeanne d’Arc » de Delteil enregistrés par Philippe Forcioli. En travaillant j’écoute beaucoup la radio. C’est une présence discrète, je continue mon travail avec cette présence. Je traite souvent le paysage et le personnage. Le personnage en costume, immobile, de parade, vibrant comme dans un portrait vidéo. Tout ce qui est humain ou la projection mentale de l’humain comme l’objet, l’architecture etc… j’ai tendance à le figurer. En revanche, tout ce qui a trait au paysage j’aime bien le traiter de la façon la plus brute et la plus abstraite possible, c’est un espace de liberté et j’aime bien traiter les deux en opposition dans la construction. Ça relève un peu du collage.

Vill’art en Val : Par exemple comment ce personnage de l’enfant est venu « se coller » avec un paysage ? Pourtant il projette une ombre…
T.L. : A la base il y a ce personnage, un enfant indigène photographié par Edward S. Curtis dans une institution où l’on enlevait les enfants indigènes pour les christianiser. Il a une posture un peu soumise. A la base il était seul, dans un environnement végétal. Quelque chose manquait, difficile à verbaliser. Et un soir en rentrant je me suis dit qu’une chose pouvait tout changer : c’est qu’il ait une ombre, avec ses éléments de costume et juste cette ombre, c’est un enfant sur lequel on a projeté quelque chose. Du coup j’ai détaché son environnement végétal pour le faire apparaitre comme devant un décor. C’est un détachement du personnage. Les palmes derrière évoquent l’exotisme, c’est un motif que j’utilise, comme les paysages du Douanier Rousseau qui n’est jamais allé dans un pays exotique, qui figure un imaginaire. J’ai cherché le titre longtemps et je me suis arrêté sur le terme d’allogène, par opposition au mot « indigène ». En anthropologie le terme allogène désigne quelqu’un qui arrive de l’extérieur dans un endroit et qui ne perd pas sa culture. Ici, l’enfant est indigène mais la projection qu’il reçoit et « allogène ». Je trouve intéressant que ce terme évoque surtout « halogène » la source de lumière artificielle. Donc certains de ces « ingrédients » figureront dans le titre.
Vill’art en Val : Tu laisses reposer ton travail, tu y reviens, tu as plusieurs travaux en parallèle ?
T.L. : Dans mon atelier, je peins sur 2 ou 3 murs en même temps. J’aime bien, ça étire le temps, ça n’a pas de fin en fait. Tu peux travailler sur des diptyques, des petits formats.
Pour l’instant je ne sais pas ce que je vais montrer à l’exposition à Carcassonne. Quand je travaille sur les petits formats ça me permet de faire des essais, des choses très spontanées, des choses qui me manquent, que je trouve plus élaborées et que je vais utiliser sur une autre toile.
L’immersion importante que permet ce format de résidence de recherche est très enrichissante. Pas forcément pour la production qui en découle, mais davantage pour les pistes de réflexion qu’elle va proposer.

Vill’art en Val : La distance et le mouvement comptent également.
T.L. : Le recul oui, je fais en permanence des va et vient entre mon support et le fond de l’atelier. Ça n’est pas systématique mais j’aime bien quand il y a un flottement, quand tu peins des heures le nez sur ta toile tu as beau faire quelque chose de figuré en fait tout est abstrait. Tu te recules et il y a un temps où quelque chose de figuré se dessine. Et entre le temps où tu dois définir clairement quelque chose de figuré ou d’abstrait il y a ce flottement qui m’intéresse. Un flou entre quelque chose de défini et quelque chose qui ne l’est pas.
Vill’art en Val : C’est un flou qui n’est pas une indistinction mais comme une sorte de tension qui resterait en vibration ?
T.L. : Oui, j’aimerais bien arriver à ça. Plus il y a de regards qui se posent sur un travail en cours, plus il m’est difficile de le continuer.
J’aime peindre sur des sujets verticaux. 2 formats verticaux entrent dans l’espace d’un mur mais si c’est 1 format horizontal il n’en rentre qu’un seul
Vill’art en Val : Tu parles d’accrochage ou d’acte de peindre ?
T.L. : Non, je parle d’acte de peindre. …
….. j’aime bien peindre des formats verticaux, des dytiques. Il y a un hors champ du sujet.
Vill’art en Val : Tu penses que c’est la verticalité qui crée cette propension au hors champ ?
T.L. : C’est surtout le diptyque ou le triptyque qui donnent une sensation d’immensité. Je sais que ça peut étonner, la succession. Deux supports verticaux vont créer une sensation d’infini, c’est l’amorce de quelque chose d’infini, le début de quelque chose qui ne s’arrête jamais ou une partie en cours d’un élément. C’est évoquer dans le « champ » ce qui est « hors champ ».
Je ne sais pas encore ce que je vais en faire, c’est pourquoi parfois des petits formats ou des parties du travail disparaissent lorsque je fais une exposition.
C’est aussi une leçon de mon père (qui est peintre) qui me disait que ce qui compte ce n’est pas de faire quelque chose de joli et de présentable. Quand on arrive dans mon atelier rien ne parait fini ! Ce que je présente, au final, n’est pas fini mais arrêté.

Vill’art en Val : tu as peint sans châssis donc ce qui va advenir du format de cette toile n’est pas encore décidé.
T.L. : Oui, là le format devra être corrigé à cause du cadre et il est possible, du fait du format du châssis qui sera construit, que je doive le recadrer, peut-être même qu’il y en aura deux aussi. Ça m’arrive souvent, en prenant du recul, qu’une peinture change de format, que je recadre, parfois il m‘est arrivé de réaliser deux tableaux à partir d’une seule toile.
Vill’art en Val : C’est une pratique proche de celle d’un photographe, que de recadrer, d’agrandir un détail…
T.L. : J’aime bien garder plein de pistes, ces pistes me serviront directement ou seront des amorces pour un autre travail. C’est comme une matrice, qui pourra faire naître un ensemble d’autres peintures, d’autres sujets. Je regarde beaucoup la peinture, l’histoire de la peinture, Il peut y avoir aussi des œuvres de la peinture classique, de la photographie ou de la vidéo qui m’inspirent, sont des pistes à suivre, des ponts à faire.
Vill’art en Val : Tu as des visites pendant ta résidence ?
T.L. : Assez peu, il y a quelques personnes du village qui sont venues me voir. C’est super une résidence quand il y a un projet de recherche !

La sortie de résidence de Thomas Loyatho aura lieu
vendredi 29 avril à partir de 10h30 à son atelier de Villar en Val
Vous êtes bienvenu(e)s !
Une exposition de ses œuvres aura lieu aux Archives Départementales de Carcassonne
en octobre prochain.
Julos Beaucarne
J’ai connu Julos Beaucarne par ses livres. Cette rencontre fut si forte pour moi, qu’il fut le premier chanteur que j’invitais, quelques années plus tard, pour l’ouverture du festival poétique et champêtre « La Grande Deltheillerie » que nous organisions avec Yvan et quelques amis dont Philippe Forcioli, à Villar en Val durant 20 ans, dans le sillage de l’écrivain Joseph Delteil.
Je me souviens lui avoir écrit une lettre dans laquelle je lui disais que notre festival débutait et que nous n’étions pas en mesure d’accueillir son spectacle avec ses musiciens mais que je rêvais de le recevoir. Pourquoi pas, « seul avec sa guitare », s’il acceptait ?
Je postais ma lettre le cœur battant à l’adresse inoubliable du 2 rue des Brasseries, passage du vélo volant, 1320 Tourinnes La Grosse. Belgique. La réponse ne s’est pas faite attendre. Sur une carte où Julos pédalait en pull arc -en -ciel sur un improbable vélo, il m’avait répondu : « Je viendrai et même un jour avant pour vous connaître » !
Et, si nous nous sommes rencontrés ce jour d’août 1995, j’ai le sentiment que nous nous connaissions déjà…
Depuis, nous avons déroulé, tout naturellement et joyeusement, le fil d’une vie d’amitié, de fêtes de famille, de pensées indélébiles écrites à l’encre arc-en-ciel.
Julos est devenu l’ami fidèle de la Deltheillerie de Villar, un lieu où s’inscrit à jamais sa force poétique jusqu’à avoir donné au paysage un horizon nouveau. Longtemps, la Pagode post-industrielle ISAURE, érigée en totem à l’entrée du village, a accueilli le visiteur.
Le temps a fait son œuvre sur le bois mais, la trace est profonde et, le « champ de Julos » à Villar garde pour toujours, entre la terre et le ciel ses « 9 étages pour un monde neuf ».
« A Villar, je suis monté voir le lieu d’où a jailli Delteil et tout ce qui a suivi : ses livres, les gens qui les lisent, ses paroles qui s’envolent. Ses pas d’enfant sont restés dans la mémoire de la terre, dans la mémoire des chênes verts. La vie est verte au Villar et l’eau dégringole de très haut…. Le poète veille dans la nuit magique. Dans le cimetière, au lieu d’une croix sur une des tombes, il y a une flèche qui montre le ciel, une sorte de poteau indicateur en pierre qui dit : « je viens de là et j’y retourne ». Sommes-nous tombés un jour des étoiles de la nuit ?» Julos Beaucarne.
Oui ô Julos, le poète « gardien du frisson » ayant maintenant rejoint son terroir de galaxies, veille dans la nuit magique.
Magali Arnaud
